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Wonder Women ou le féminin vue par les hommes ?

Dernière mise à jour : 16 juin 2021


Le contexte: La place de la Femme au début du siècle dernier est loin d'être celle que l'on connait aujourd'hui.

C'est seulement en 1920 que l'ensemble des États-Unis adopte par amendement le droit de vote aux femmes (24 ans plus tard en France).

De 1910 à 1920, le pourcentage de femmes mariées qui travaillent a presque doublé et pendant la Seconde Guerre mondiale il va encore tripler. À une époque où certains comportementalistes considèrent le féminisme comme une forme de perversion, Martson entend démontrer le contraire. Selon lui, les femmes sont plus émotives que les hommes et leurs émotions sont souvent enracinées dans leur sexualité (« Il existe un plus grand nombre de stimuli adéquats à l’émotion sexuelle chez la femme », affirme-t-il). Il faut attendre 1937, pour que l’AMA (Association médicale américaine) approuve la contraception.

(Gal Gadot en Wonder Woman dans le Film de 2016)

Naissance d'une héroïne:

Max Gaines, fasciné par les "Strips" ces illustrations colorées d'abord destinées aux enfants, au monde de la pub ou à la littérature spécialisée, à l'intuition qu'il peut utiliser ces images pour en faire un nouveau genre, le Comic Book. C'est en 1939 qu'apparaitra donc Superman pour la première fois dans des éditions à grande échelle. Très vite, devant le succès du genre, Max Gaines installa une équipe d'éducateurs et de Psychologues afin de l'aider à produire des comics qui puissent être vus comme apportant des modèles positifs. William Moulton Marston fit partie de ce groupe et proposa alors de créer une Super-Héroïne "Suprema the Wonder Woman". Bien que Marston porte entièrement la responsabilité de la création, le responsable éditorial Sheldon Mayer, apporte sa pierre à l'édifice et convainc l'auteur de ne garder que la seconde partie du nom (1).

Wonder Woman vient donc compléter "la Justice Society of America", cette ligue de superhéros dont la première réunion s’était tenue dès le troisième numéro de la revue All Star Comics, à l’hiver 1940 : « Chacun d’eux était un héros qui, à l’appel de la Justice Society, se mettait à son service, après avoir juré de défendre l’honneur et la justice ! » Wonder Woman fait ainsi ses débuts en décembre 1941, dans le huitième numéro All Star Comics : à la veille de l’entrée du pays dans la Seconde Guerre mondiale, elle pilote un avion invisible jusqu’aux États-Unis afin de lutter pour la paix, la justice et les droits des femmes. Pour cacher son identité, elle se déguise en une secrétaire nommée Diana Prince qui travaille pour le renseignement militaire américain. Ses dieux sont des femmes et elle invoque sans cesse la « Grande Héra ! » ou la « Souffrante Sappho ! » Sous les traits du dessinateur Harry G. Peter, elle ressemble à la fois à Eleanor Roosevelt,à l’actrice Betty Grable, mais aussi, la plupart du temps, à Margaret Sanger.

Du Féminisme en guerre ?

En 1942, Wonder Woman est devenue la première femme superhéroïne à avoir sa propre bande dessinée. Devant le succès de "son" héroïne, Marston annonça dans un communiqué de presse qu'il était l'auteur du Comics et a expliqué que Wonder Woman était conçue comme une œuvre de propagande féministe, en particulier les «Wonder Women of History» inclus dans chaque numéro, qui met en lumière une femme ayant marqué l'histoire. Le communiqué de presse précisait :

«Wonder Woman a été conçue par le docteur Marston dans le but de promouvoir au sein de la jeunesse un modèle de féminité forte, libre et courageuse, pour lutter contre l’idée que les femmes sont inférieures aux hommes et pour inspirer aux jeunes filles la confiance en elles et la réussite dans les sports, les activités et les métiers monopolisés par les hommes. » (2)

Le texte indiquait aussi : « Le seul espoir pour la civilisation est une liberté accrue, le développement et l’égalité pour les femmes dans tous les domaines de l’activité humaine ».

Ou, comme le disait à sa façon William Moulton Marston :

« Franchement, Wonder Woman, c’est de la propagande psychologique pour le nouveau type de femmes qui devraient, selon moi, dominer le monde. »

Marston tient une conférence de presse où il prédit que les femmes régneront un jour sur le monde. « À partir de maintenant, les femmes régneront pendant mille ans ! » annonce le Chicago Tribune, tandis que le Los Angeles Times titre « Le règne féminin est arrivé ».

En mai 1942, le président Roosevelt crée le corps auxiliaire féminin de l’US Army (WAAC) doté de cent cinquante mille recrues. Le WAAC « accomplit le rêve d’égalité complète entre la femme et l’homme », s’enthousiasme Margaret Sanger dans le New York Herald Tribune. Mais elle est consternée que le gouvernement n’ait pas fourni de contraceptifs. « Cette nouvelle armée de femmes est une grande chose, un véritable test pour les mouvements féministes, dit-elle. Avant cela, jamais la lutte pour l’égalité n’avait touché à la vraie question, c’est-à-dire au sexe»

À l’été 1942, lorsque tous les hommes partent en guerre, Wonder Woman reste sur place pour répondre au courrier. « Bonne chance les garçons, leur lance-t-elle. Comme j’aimerais vous accompagner ! » Marston est furieux.

(Lynda Carter, The new Adventures of Wonder Woman)

En 1943, Marston écrit un épisode de Wonder Woman intitulé Bataille pour la féminité:

Mars, le dieu de la guerre, est fâché que tant d’Américaines participent au conflit : « Il y a 8 millions de femmes américaines engagées dans l’effort de guerre – en 1944, il y en aura 18 millions ! » rapporte une des femmes esclaves de Mars.

« Si les femmes gagnent du pouvoir pendant la guerre, elles vont complètement échapper à la domination de l’homme, gronde le dieu Mars. Elles vont concrétiser leur horrible indépendance. Si les femmes deviennent des guerrières comme les Amazones, elles seront plus fortes que les hommes et mettront un terme à la guerre. »

Il ordonne au Duc des Tromperies de tout arrêter.

Le Duc fait appel au docteur Psycho qui, grâce aux outils développés dans son laboratoire, ressuscite le président George Washington, « J’ai un message à vous délivrer – un avertissement ! tonne Washington. Les femmes vont faire perdre la guerre à l’Amérique. Elles ne devraient pas être autorisées à endosser de telles responsabilités. Elles ne doivent pas fabriquer d’obus, de torpilles, de pièces d’avion. Il ne faut pas leur faire confiance pour garder les secrets en temps de guerre ni pour servir dans les forces armées. Les femmes vont trahir leur pays, sinon par volonté, au moins par faiblesse. » Wonder Woman, qui l’observe, s’écrie : « Cet homme travaille pour l’Axe [l’alliance de l’Italie fasciste, de l’Allemagne nazie et du Japon impérial durant la Seconde Guerre mondiale]. » Pour vaincre le docteur Psycho, elle pénètre dans son laboratoire en passant par une fenêtre. Mais elle est capturée.

Le docteur Psycho l’enferme dans une cage. Finalement, elle est sauvée par sa meilleure amie, Etta Candy, puis libère la femme du docteur Psycho, Marva, enchaînée à un lit, les yeux bandés. « La soumission à la domination d’un mari cruel a ruiné ma vie ! crie Marva. Mais que peut une faible fille comme moi ? » « Devenir forte, lui répond Wonder Woman. Gagnez votre vie. Rejoignez les WAAC ou les WAVES [le corps auxiliaire féminin de l’US Navy] et battez-vous pour votre pays !?»

Fin 1943, Wonder Woman fait son rapport à la reine Hippolyte : « Les femmes gagnent en puissance dans le monde des hommes. » Hippolyte montre l’avenir à Wonder Woman : Etta Candy devient professeure de santé publique à l’université tandis qu’elle, Diana Prince, est élue présidente des États-Unis.

(l'actrice Gal Gadot sur Twitter)

En 1944, Wonder Woman est le seul Superhéros, hormis Superman et Batman, à s’échapper des pages des comic books pour rejoindre celles d’un journal quotidien. Débordé, Marston embauche une assistante de 19 ans, Joye Hummel. Elle avait été étudiante en psychologie lorsqu’il enseignait à l’université Gibbs, dans le New Jersey. Avant de commencer à écrire, elle reçoit un exemplaire de "Woman and the New Race" de Margaret Sanger.

À la fin de la Seconde Guerre mondiale, le nombre d’Américaines actives a augmenté de 60 % ; les trois quarts d’entre elles sont mariés et un tiers a déjà des enfants.

La plupart espèrent conserver leur emploi, mais elles sont priées de laisser la place quand les hommes reviennent du front. Si elles ne démissionnent pas, elles sont forcées à partir : leur salaire est diminué et les usines cessent de proposer des services de garde d’enfants. Les femmes doivent rester à la maison tandis que les homosexuels sont persécutés. Lors des auditions parlementaires sur la question de l’homosexualité en 1950, la sénatrice Margaret Chase Smith va jusqu’à demander s’il existe un « test rapide comme une radiographie, qui puisse révéler ces choses-là ». Au département d’État (l’équivalent de notre ministère des affaires étrangères), un ancien policier du FBI est chargé de chasser les homosexuels de la fonction publique. Il leur fait même passer des tests au détecteur de mensonges sur la base des recherches de Marston. Et ceux qui échouent sont tenus de démissionner.

Entre 1945 et 1956, un millier d’employés gays du département d’État et cinq mille fonctionnaires du gouvernement fédéral perdent leur emploi.

Le 22 mars 1972, l’Equal Rights Amendement est adopté par le Sénat, près d’un demi-siècle après avoir été proposé. Wonder Woman est nommée « symbole de la révolte féministe » ; l’année suivante, la Cour suprême légalise l’avortement. Mais le mouvement est en panne ; les salaires des hommes et des femmes restent inégaux ; les gains sociaux et économiques ont été anéantis ; les victoires politiques et juridiques, qui semblaient proches, n’ont jamais été remportées. De surcroît, les divisions intestines menacent la cause féministe.

En mai 1975, les Redstockings (un groupe féministe radical) tiennent une conférence de presse et publient un rapport de seize pages. Dans leur logique, Wonder Woman n’est rien d’autre que le symbole de la trahison du féminisme : « Les féministes réformistes et matriarcales se tournent vers ces héroïnes mythiques et surnaturelles, mais ignorent ou dénigrent les réalisations et les luttes des femmes qui ont les pieds sur terre, dénoncent-elles. Cela conduit la “femme libérée” – selon une logique individualiste – à nier la nécessité d’un mouvement et implique que lorsque les femmes ne sont pas libérées, c’est de leur faute. ».

Représentation d'Artiste par Chrissie zullo

Un peu de Psychologie: Que peut-on en déduire ?

Étant un homme, relativement jeune de surcroît, je ne peux que reconnaître qu'il m'est complexe de pouvoir aborder un tel sujet de manière neutre. Il me semble qu'il ne faut pas oublier que Wonder Woman reste un idéal de féminité dans la tête de son créateur, William Moulton Marston et que par cela même elle ne représente qu'une part sans doute minoritaire de l'Archétype de la Femme. Wonder Woman étant le fruit de sa projection elle incarne sans doute une partie de son Anima.

On peut constater qu'a cette époque (et encore maintenant) au travers de la pression sociale et de ses exigences, l'idée du Féminin tend à rejoindre des valeurs masculines. Nous sommes encore loin socialement de faire face à l'Archétype du Féminin et nous avons même tendance à le fuir dès que nous le pouvons, habitués au prisme de la lecture masculine. En réalité, il me semble que dans nos sociétés aux valeurs hypermasculines nous n'avons fait qu'adapter "la femme" à ce qu'était l'homme, l'adaptation étant sans doute davantage une valeur féminine. Nous n'avons pas voulu nous interroger sur la véritable essence et sur la profondeur du Féminin. Il est intéressant qu'au travers de ce mimétisme, la femme en vienne presque à supplanter l'homme dans sa réussite sociale remettant par là même en question la Masculinité. Il faut alors espérer que par compensation inconsciente, le chemin harmonique entraîne cette mouvance du masculin vers ce qui peut lui manquer, l'émotion et le sensible (l'éros).

Dans nos sociétés ou les valeurs changent, il nous faut plus que jamais, réfléchir, mais aussi comprendre, et bien plus ressentir ce qu'est l'Archétype du Féminin. Comme tous Symboles le Féminin se transforme en permanence. L'identifier non pas pour en faire un dogme de "la théorie du genre", mais simplement pour "conscientiser" et mettre au clair afin d'en faire une richesse complémentaire. Je me permets de conclure avec un passage de Silvia di Lorenzo dans la Femme et son Ombre :

"Nous pouvons discerner aujourd’hui chez les femmes en particulier les féministes, les signes de la prédominance de l’animé comme image de l’homme, projetée à l’extérieur sur un homme réel. Nous assistons à un processus du renforcement du Moi, de développement des capacités intellectuelles, d’acquisition de l’autonomie face à l’homme, d’acquisition aussi de responsabilité et de connaissances.

Il semble que la femme aujourd’hui ait choisi la voie de son autoréalisation au prix de la perte, au moins temporaire, des valeurs les plus précieuses de sa féminité et de l’Éros dans ses rapports avec l’homme. Il est vrai qu’elle semble souvent possédée par l’animus, mais d’une façon qui n’est pas sans voie de sortie, parce qu’elle fait un effort honnête pour faire ses preuves dans la réalité extérieure et commence donc à mettre au travail l’animus dans quelque chose de constructif : cette attitude lui offre la possibilité de se libérer de sa possession et de prendre toujours plus conscience de ses propres capacités dans le domaine spirituel et rationnel.Nous voyons ici le signe de ce renforcement du Moi dont parle H. Binswanger et qui continue la prémisse indispensable au développement de la personnalité.

Le sacrifice des valeurs féminines, qui semble inévitable en tant que phase temporaire du processus, comprend aussi la perte du pouvoir de séduction sur les hommes, dont nous trouvons, comme nous l’avons vu, les fondements archétypiques dans le mythologème du sein brûlé des Amazones."

(Lynda Carter dans la série télévisée en 1976)

Bibliographie: 1 (en) Tim hanley, Wonder Woman Unbouna: The Curious of the World's Famous Heroine, Chicago, Review Press, 2014, p320

2 Jill Lepore, "La chienne de garde de l'Amérique", Vanity Fair, n°20, février 2015, pages 116-125 et 164

(évolution graphique de Wonder Woman)


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